Reportage

Plus qu’une histoire de toilettes… La face cachée des WC.

Bonus du tout premier hors-série d’Esprit Autonome sur le thème des toilettes sèches, disponible ici si vous l’avez raté.
Cet article a été écrit à la suite d’un entretien téléphonique avec Christophe Elain, auteur du livre Un petit coin pour soulager la planète, dont l’histoire de l’ouvrage a été présentée dans un premier article que vous pouvez retrouver ici.

Au cours de notre échange qui visait à retracer le parcours de Christophe lorsqu’il a écrit ce livre sur les toilettes sèches, nous avons abordé plusieurs points qui m’ont fait réaliser à quel point cette thématique transversale vient toucher à des paradigmes et des questionnements allant bien au-delà de la construction de TLB (Toilettes à Litière Bio maîtrisée pour les intimes).
Voici donc quelques réflexions en complément. Au programme : des pistes de réponse à la question « pourquoi diable continuons-nous à faire caca dans de l’eau potable ? ». Divisions internes, système dominant et le dégoût des fèces !

Dessin extrait du premier hors-série ©Gaëtan Wittamer pour Esprit Autonome

Entre rassemblement et divisions

En 2006 a eu lieu la création de la RAE (Réseau de l’Assainissement Écologique).
Lors des « rencontres intestinales », les plus ferventes défenseuses et défenseurs des toilettes sèches se retrouvent afin de se mettre d’accord sur des plans d’action pour coloniser la planète entière de TLB (bon, j’y vais peut-être un peu fort mais vous voyez l’idée).
Christophe se souvient du grand enthousiasme présent chez la plupart, et évoque également une forme de réserve que ces rencontres lui inspiraient.
En effet, il fut parfois témoin de points de vue défendus avec vigueur voire avec véhémence, allant parfois jusqu’à l’exclusion d’autres façons de voir, créant ainsi des divisions.
=> Un exemple concret : séparer ou ne pas séparer ?
La séparation des urines et des selles fait controverse dans le milieu des toilettes sèches. Certaines personnes affirment que c’est indispensable tandis que d’autres arguent le contraire. C’est un aspect clivant que Christophe regrette, car il amène des « petites guerres » au sein d’un groupe ayant pourtant au départ des motivations communes.
Il remarque que le projet voit alors sa dynamique ralentie de part l’éclatement des personnes qui le portent. D’ailleurs, il semblerait que plusieurs années plus tard, et contrairement aux prédictions optimistes, l’installation des TLB ne soit pas encore (très) répandue. C’est notamment le cas dans le contexte urbain, même s’il y a des améliorations, comme précisé dans le hors-série ;).
Ce que Christophe déplore avec ce genre de positionnement, c’est qu’il omet de prendre en compte l’aspect particulier de chaque situation – en d’autres mots : le contexte. Un biais qu’il est facile de rencontrer lorsque nous sommes persuadé·es que nos croyances prévalent sur celles des autres.
Bon, facile à dire certes, mais comment rester ouverte et ouvert au quotidien lorsque nous sommes convaincu·e que ce serait bien mieux que l’autre fasse autrement ?
Je n’ai pas de réponse, néanmoins j’aime l’idée que de simples toilettes puissent nous amener à nous remettre en question :).

Nul doute que ces personnes font preuve de courage en prenant des risques personnels, alors qu’elles ne sont pas directement en danger elles-mêmes : elles s’exposent pour venir au secours d’autres personnes ou pour mobiliser l’opinion sur des questions majeures de société. Et justement, agissant pour une cause qui les dépasse, on peut dire qu’elles font preuve de « courage civil »7.

Le plafond de verre de l’échelle

(Oui, j’aime les titres mystérieux.)

J’évoquais justement l’absence des TLB dans les milieux urbains…
C’est un autre point que Christophe aborde lors de notre discussion estimant qu’il serait intéressant de creuser : la mise en place des toilettes sèches dans les villes. Jusqu’ici, en France, les projets restent plutôt à petite échelle.
En 2009, un arrêté donne une existence légale aux toilettes sèches. Chouette !
Sauf que… les contraintes sont fortes (ce qu’on peut comprendre), et rendent cela complexe à envisager en ville. Par exemple, il est nécessaire d’avoir une dalle étanche et de réaliser le compostage sur place.
Il y a aussi un frein économique, car leur installation représente un investissement – quoique cela reste discutable lorsque l’on prend on compte une vision globale sur du long terme.
Rajoutons à cela la problématique du stockage et de l’entretien régulier, qui est bien plus visible que dans le système classique.
Cela contraste avec la facilité d’installer des toilettes à eau avec un système du tout à l’égout déjà présent. Il suffit (attention, vulgarisation simpliste en approche, si tu es plombier prière de fermer les yeux) de se « brancher aux tuyaux » déjà existants…
Nous voici de nouveau confronté·es à une problématique engendrée par l’hégémonie, en l’occurrence celle du tout à l’égout.

Du coup, il ne s’agit pas seulement de planter de nouvelles graines : il y a en amont tout un travail de préparation de terrain, de désapprentissage et de déconstruction de ce qui est considéré comme « allant de soi ».
De nouveau, nous touchons du doigt une immense thématique sensible et pourtant omniprésente : les freins auxquels quiconque ne faisant pas partie de la classe privilégiée d’un système dominant se confronte.
Au-delà de ce triste constat, je me demande comment faire.
Qu’est-ce qui permettrait l’essor des toilettes sèches ? Quels sont les leviers d’action ?
Comment entrer en contact avec les municipalités ? Comment faire valoir ses idées et ses valeurs au sein d’un tel système sans s’épuiser ?
Certains exemples sont prometteurs comme l’iconique immeuble situé à Dol de Bretagne, habitat participatif comprenant 23 logements et zéro toilette à eau.
Cela reste complexe à mettre en place à grande échelle, Christophe se souvient de certains projets menés par des gens très motivés qui ont fini par abandonner les TLB à cause de problèmes de gestion ou de fonctionnement. Il précise toutefois que cela date du début des années 2000, à creuser donc !

Dessin extrait du premier hors-série ©Gaëtan Wittamer pour Esprit Autonome

Le tabou du caca

Titre alternatif : cachez-donc ce caca que je ne saurais voir.

Un dernier point que j’aimerais soulever, c’est l’aspect psychologique et culturel.
Force est de constater que ce thème vient toucher à des zones liées à l’intime.
Christophe mentionne la symbolique de « garder son caca » lorsqu’on le composte, contrairement aux toilettes à eau qui l’emmènent loin de nous, hors de notre vue.
Pour quelqu’un qui assimile les fèces à un déchet honteux dont il faut à tout prix se débarrasser, cela paraît absurde de le garder. Et puis, quoi en faire une fois qu’elles ont été compostées ? Car « si nous considérons que de la merde, c’est vraiment de la merde, nous n’allons surtout pas mettre ça dans notre jardin » souligne Christophe.
Selon l’endroit où nous sommes né·es, dans quel pays mais aussi dans quelle famille, notre rapport au caca peut prendre plein de formes différentes (sans mauvais jeu de mots).
En Chine par exemple, cela fait fort longtemps que cette ressource est réutilisée, mais c’est loin d’être partout le cas.
Rapport au corps, éducation, conception de l’hygiène… Nous entrons dans des endroits obscurs et bien gardés, dont certains font office de fondations à notre manière d’appréhender la vie.
La récupération d’urine (parfois appelée « or liquide » et qui, finalement, représente le plus gros volume de ce que nous produisons) commence à se développer comme substitut d’engrais d’azote et de phosphore qui sont répandus dans nos champs à perte de vue. Subsiste toutefois un travail à faire au niveau de la législation et donc des institutions, car les gens « haut placés » qui prennent les décisions peuvent être frileux à l’idée d’utiliser du pipi (mais pas des trucs hyper nocifs pour la santé et l’environnement, cherchez l’erreur). C’est un lent processus.
Bref, le caca, c’est tabou, ou du moins ça peut l’être.
C’est un sujet sensible et pour faire bouger le monde des toilettes sèches, il ne suffit pas toujours d’en construire et de les installer, mais aussi de revenir sur certaines de nos croyances.
Celles autour de l’hygiène par exemple furent drastiquement modifiées au cours du XXème siècle, où le tout à l’égout fut suivi de nombreux « progrès » qui transformèrent notre vision de la propreté…
C’est pourquoi Christophe conclue notre entretien en précisant « Pour revenir à quelque chose qui en apparence présente des risques de revenir en arrière, cela nécessite d’être au point sur ce qui est mis en place. Cela implique aussi, et surtout, de revenir sur ce qu’on a mis dans la tête des gens autour de l’hygiène et toutes les peurs que ça peut susciter. »

À méditer. En tout cas, il y a matière ! 😉

Breaking news !

Christophe nous relaye une initiative toute fraîche d’ENVILLE (Engrais humain des villes) qui a pour but de « développer les filières citoyennes et low-tech de valorisation agricole de l’urine humaine ».

Le mercredi 18 septembre 2024 à 17h45, à Châtillon (92), aura lieu l’inauguration du premier point d’apport volontaire d’urine de France.
INSCRIPTION SUR CE LIEN (https://vu.fr/KWJWI).

Voici ce qu’on peut lire sur le mail d’invitation :
« Cette inauguration a lieu dans le cadre du projet Enville (= « Engrais humain des villes »), porté par le programme de recherche-action OCAPI au sein du Laboratoire Eau, Environnement, Systèmes Urbains (LEESU) et financé par l’ADEME Île-de-France. Ce projet vise à concevoir des dispositifs simples et pratiques favorisant la circularité des nutriments contenus dans notre urine. Le projet a permis le développement d’une filière citoyenne de valorisation agricole de l’urine humaine au sein d’une AMAP*, entre les habitants et la ferme qui livre les légumes. Le fonctionnement de cette filière repose essentiellement sur la présence d’un point d’apport volontaire d’urine, qui permet aux habitants de déposer leur urine à proximité du lieu de distribution des légumes, chaque semaine. Ainsi, la ferme qui livre les légumes à cet endroit, peut récupérer l’urine et l’amener sur le site de production agricole, où elle est transformée en engrais et utilisée sur certaines cultures.
Déroulé de l’évènement
17h45 : Accueil
18h : Inauguration par l’École nationale des ponts et chaussées et l’ADEME Île-de-France, en présence de la Ville de Châtillon et de l’AMAP des Radis Actifs
18h30 : Buffet et visite des installations par petits groupes.
Inscription avant le 11 septembre 2024 sur ce lien (https://vu.fr/KWJWI).
Pour en savoir davantage sur le projet ENVILLE, découvrez les fiches pratiques et synthétiques ainsi que le rapport complet du projet. »

Dessin extrait du premier hors-série ©Gaëtan Wittamer pour Esprit Autonome

Pour aller plus loin

• Christophe Élain, Un petit coin pour soulager la planète, Eauphilane, 2005.
https://www.alterrenat-presse.com/habitat-sain/621-un-petit-coin-pour-soulager-la-planete.html?search_query=christophe+elain&results=1

• RAE (Réseau de l’Assainissement Écologique) et autres Rencontres Intestinales :
https://reseau-assainissement-ecologique.org/

• Projet ENVILLE :
https://www.leesu.fr/ocapi/les-projets/enville/

• Liens vers de articles à propos du fameux immeuble à Dol-de-Bretagne :
https://ecosec.fr/quand-les-toilettes-seches-dans-lhabitat-collectif-font-couler-de-lencre/

• Plutôt deux fois qu’une, le hors-série Esprit Autonome spécial toilettes sèches :
https://espritautonome.com/boutique/esprit-autonome/esprit-autonome-hs-1/

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