Article paru dans Yggdrasil n°4 – avril 2020
J’adore regarder la pluie tomber… Je me dis que c’est bon pour l’herbe, les arbres, les limaces, les grenouilles… Mais surtout, j’aime regarder la gouttière qui remplit le bidon de 200 litres (il sert à arroser le potager). Puis, une fois le bidon rempli, j’ai un pincement au cœur en voyant toute cette eau qui déborde. Quel gaspillage ! Et comme je n’aime ni le goût prononcé du chlore dans notre robinet, ni la voix sucrée de l’hôtesse des eaux qui me dit que tout est normal, et encore moins recevoir la facture, j’ai décidé de récupérer et d’utiliser de l’eau de pluie dans notre maison1.
Les travaux
Une mini-pelle pour un trou (un après-midi) et une cuve de 3 600 litres (1) en PVC à 1 000 € comprenant trappe de visite (2), pré-filtre (3), crépine avec clapet anti-retour pour pomper l’eau 10 cm sous la surface (4), flotteur (5) et trop-plein (6). La moitié du toit seulement alimente la cuve, environ 70 m² pour un peu plus de 60 m3 d’eau annuels, quand il pleut comme chez nous 900 mm d’eau par an.
Nous aurions préféré une cuve en béton, mais elle était trop lourde pour la transporter jusqu’à l’emplacement choisi.
Par chance, la plomberie de la maison est divisée en trois parties distinctes :
1. cuisine (évier et lave-vaisselle)
2. au rez-de-chaussée : salle de bains, WC et lave-linge
3. au premier : salle de bains et WC
Nous décidons que toute la partie 2 passera en eau de pluie. Voici la liste des accessoires pour 500 €, sans la main d’œuvre car j’adore faire la plomberie. En plus, un voisin plombier est venu m’aider : c’était génial !
Le matériel
Un surpresseur (7) à 150 € est monté sur silent bloc (bloc de caoutchouc) pour atténuer le bruit généré quand il pompe l’eau. Sa pression d’arrêt est abaissée de 3 bar à 2 bar (inutile d’avoir trop de pression).
Un filtre lavable de 50 µm de type tamis, suivi d’un filtre de 25 µm de type bobine (8).
Deux « Y » pour insérer l’eau de pluie dans le réseau eau chaude/eau froide (9).
Deux clapets anti-retour (10) pour éviter tout retour de l’eau de pluie vers le réseau public.
Deux vannes quart de tour (11) pour rebasculer sur l’eau du réseau public si la cuve d’eau de pluie est vide.
Un ballon d’eau chaude électrique de 10 litres (12) pour la douche et le lavabo. Il chauffe les 10 litres en 23 minutes en consommant 0,5 kWh. Nous le branchons à la demande.
Voici les messages que l’on peut lire maintenant sur des Post-it dans nos WC :
« Attention, WC à eau de pluie,
ne pas boire dans la cuvette ! »
« Ici vous ne pourrez plus faire pipi dans l’eau potable. »
« Ne gaspillez pas cette eau,
elle est gratuite… »
La pratique
Ma fille de 8 ans, en sortant pour la première fois de ces nouveaux WC à eau de pluie, a dit : « Ça sent la vase. » Effectivement, cette odeur est présente les premières semaines, mais elle disparaît par la suite. Puis il y a les premiers brossages de dents à l’eau de pluie, avec une sorte d’appréhension, mais je suis déterminé à essayer d’abord et à réfléchir ensuite. Finalement rien ne se passe après quelques semaines, et maintenant c’est naturel. En revanche, si j’ai soif, je n’ose pas encore boire l’eau de pluie du gobelet !
Mmmh… la première douche à l’eau de pluie chaude avec du savon fait maison ! J’en profite pour mettre juste avant le tuyau souple de la douche une pièce de 2 centimes d’euro percée en son centre d’un trou de 2 mm : le volume d’eau consommée est divisé par trois2. Je ne pensais pas qu’avec seulement 10 litres d’eau très chaude la douche allait durer 5 minutes, ça n’en finissait plus. Une belle surprise !
Le lendemain, nous sommes tous impatients de lancer le lave-linge. Nous nous empressons de sentir le linge fraîchement sorti : rien de particulier. Ouf, je me sens libéré !
Le seul souci concerne les robinets du lave-mains à clapet automatique et celui du trop-plein du WC qui se mettent à fuir. Je les démonte tous les deux et retire des morceaux de calcaire qui empêchent les clapets caoutchouc d’être complètement étanches. Peut-être que l’eau de pluie, faiblement minéralisée et légèrement acide, est en train de dissoudre le calcaire déposé dans les tuyaux ?
Quinze jours plus tard, je veux aller encore plus loin : j’achète une douchette pour WC, histoire d’arrêter d’acheter du papier toilettes emballé dans du plastique et dont le cylindre central participe à remplir ma poubelle jaune.
Un mois plus tard, j’avance encore un peu, j’installe l’eau de pluie sur le lave-vaisselle et pose un petit robinet à 30 € qui n’a qu’une seule entrée avec un filtre céramique 0,3-0,9 µm pureOne à 35 €, sous l’évier (13), qui garantit une filtration à 99,99 % des bactéries.
Attention, WC à eau de pluie, ne pas boire dans la cuvette !
Véranda autonome
Nous ne gaspillons plus autant d’eau de pluie qu’avant, mais nous ne sommes pas pour autant autonomes si nous dépendons du surpresseur en 230 V pour pouvoir en profiter. Nous décidons de créer une zone autonome en eau et en électricité (12 V) : la véranda.
Nous y installons une mini-cuisine d’été, avec un petit évier dont l’évacuation remplit une poubelle (16) de 100 l pour arroser les fleurs. Mon dernier rocket stove permet d’y cuisiner et de la maintenir hors gel si nécessaire.
Deux moyens pour l’eau à ce robinet d’appoint sont choisis : une pompe à pied (15) achetée 20 € dans un catalogue d’accessoires pour bateau et une pompe électrique 12 V à 10 € sur Internet (14), dont on actionne l’interrupteur (contacteur à 0,50 €) avec le genou. Le 12 V pour la pompe est vite installé (un après-midi), une batterie de voiture HS, un régulateur électronique à 15 € et un panneau solaire 50 W orienté plein ouest3. Du coup, les enfants sont contents : il y aura de la lumière gratuite dans la cuisine d’été. Dans cette démarche résiliente, je craque et m’offre un purificateur d’eau à gravité 0,2 µm Doulton 9 litres (200 €) (17) qui garantit en sortie une eau potable.
Test de potabilité
Avant de boire cette eau, nous souhaitons faire des analyses : la confiance n’exclut pas le contrôle ! En effet, les oiseaux font leurs besoins sur notre toiture, les gouttières pleines de feuilles mortes sont en zinc et des poussières ou polluants de Grenoble, à 30 km, s’y trouvent peut-être en grande quantité.
Nous prélevons cinq échantillons d’eau notés de A à E avec des analyses bactériologiques, métaux (zinc à cause de la gouttière et plomb à cause de l’abergement de la cheminée), pH, nitrates, sulfate, minéraux, turbidité… bref la totale pour 500 €, tout de même ! Une seule analyse bactériologique à 48 € en sortie de filtre céramique aurait suffi (voir plus loin).
A. eau de ville,
B. eau de pluie en sortie de cuve,
C. eau de pluie après les deux filtres du surpresseur,
D. eau de pluie sortie du filtre céramique (PureOne),
E. eau de pluie sortie du purificateur Doulton.
Les résultats d’analyse étaient presque prévisibles : il y a des bactéries (environ 20/100 ml) en sortie de cuve eau de pluie. C’est à peine réduit (environ 12/100 ml) après les deux premiers filtres. En revanche, elles sont absentes après chacun des deux filtres céramique (déclarée donc potable).
En revanche, l’eau de ville que nous buvons tous les jours (au pH 8) prélevée au robinet contient des chlorures, nitrates et sulfates, contrairement à mon eau de pluie, qui en est exempte.
L’eau de pluie est légèrement acide (pH 6,2), mais de mon point de vue, rien à voir avec les sodas à l’acide phosphorique (pH 2,5), le vin (pH 3), le jus d’orange (pH 4), l’eau des Sodastream (pH 5,5) ou simplement des eaux gazéifiées en bouteille (pH 6). L’acidité de l’eau de pluie la rendrait donc non potable ? Cherchez l’erreur !
À cause de la cuve en plastique, je me doutais que l’eau de pluie serait très peu chargée en minéraux (mais déclarée biocompatible sur le site eautarcie.org). Est-ce réellement un problème ? Il semble que non pour certains de mes amis qui boivent en famille depuis des années de l’eau distillée…
Ah ! la première gorgée d’eau de pluie ! J’ai eu très peur la première fois malgré les analyses réconfortantes. J’en ai eu presque mal au ventre, résultat de 40 ans de conditionnement. J’ai bu uniquement de l’eau de pluie pendant une semaine, et il ne s’est rien passé. La semaine suivante, le reste de la famille a osé et nous avons comparé l’eau en sortie de chaque filtre céramique. De façon unanime nous avons trouvé que l’eau qui est passée par le surpresseur et les deux préfiltres a un goût prononcé de plastique et de vase. Quant à l’eau prélevée directement en sortie de citerne et qui est passée dans le filtre Doulton, elle est très douce en bouche et sans aucun goût. Il y a maintenant sur la table, à chaque repas, une bouteille avec de l’eau de pluie sans surpresseur et un pichet d’eau de ville avec chlore. Chacun est libre de boire ce qu’il veut. Moi, j’ai remplacé mon rituel du café du matin par un verre d’eau de pluie, un rituel bien plus riche à mes yeux et cela me rend heureux de le faire.
Être autonome en eau toute l’année ?
Il est indispensable de connaître notre réserve en eau de pluie. Nous installons donc une jauge numérique (détecteur de recul de voiture à 15 €), car même si gaspiller de l’eau de pluie dans nos toilettes n’a pas d’importance quand la cuve déborde, nous devons nous interdire d’en consommer bêtement quand l’eau se fait rare. Les toilettes eau de pluie seront donc condamnées en été quand il fait chaud et sec, et seront remplacées par des toilettes sèches dans le jardin avec une bien plus jolie vue. Pour l’instant, en moyenne, nous consommons 100 litres d’eau de pluie et 100 litres d’eau de ville chaque jour. Aurons-nous le courage de couper définitivement l’arrivée de l’eau de ville, avec son chlore et ses factures ? Notre famille de quatre personnes sera-t-elle capable de se contenter de ce que la nature nous offre sur notre petit lopin de terre ? À suivre…
Retrouvez Barnabé Chaillot sur sa chaîne Youtube
1. Vidéo explicative disponible et intitulée « Boire l’eau de pluie dans ma maison »
L’eau de pluie est-elle rentable ?
Pour moi, la question n’a pas d’intérêt. Si j’achète une voiture à 25 000 €, jamais personne ne me demandera si c’est rentable, alors qu’une voiture finit toujours à la casse. Mais pour mon installation d’eau de pluie à 2 000 €, cette question de rentabilité est sur toutes les lèvres. Pourquoi ? Pour moi, la liberté de pouvoir boire, se nourrir et dormir ne peut être ramenée à une notion de rentabilité.
Y a-t-il un intérêt autre que l’autonomie à utiliser de l’eau de pluie ?
Certainement. Il est difficile d’avoir un calcul rénal en buvant de l’eau faiblement minéralisée. Finis les assouplissants pour le linge, les lotions hydratantes pour les peaux agressées par la dureté de l’eau du réseau public. Plus besoin de détartrant pour le lave-vaisselle, la robinetterie, la paroi de douche, etc. Le top, c’est pour le fond des toilettes, car sans dépôt calcaire, pas d’habitat pour les bactéries. Yesss !
Par où commencer ?
Le plus simple après l’arrosage du jardin, c’est d’alimenter les toilettes (sauf si vous avez des toilettes sèches), et après l’installer ailleurs dans la maison. Qui payera l’assainissement collectif de l’eau de pluie utilisée dans nos toilettes ? Ceux qui osent arroser leur jardin, remplir leur piscine ou faire pipi dans de l’eau potable du réseau… Et pourquoi ne pas imaginer une taxe pour ceux qui gaspillent l’eau de pluie ? Voilà de quoi faire rapidement changer les mentalités.
Conclusion
Doit-on courir installer une réserve d’eau de pluie le plus rapidement possible ? Pas nécessairement. Mais entre changer de voiture et installer l’eau de pluie dans notre maison, nous avons fait ce choix. Qui d’ailleurs, nous a coûté bien moins cher…
Il est très facile de filtrer de l’eau avec un bol en argile extraite du jardin, façonné à la main et mal cuit (700°C) dans un feu de bois, car l’argile dite « biscuitée » à cette température ne pourra plus se dissoudre dans l’eau, mais ne sera pas assez cuite pour être complètement étanche. Ce bol restera donc poreux à l’eau, mais pas aux bactéries.4
Bonne nouvelle, si un effondrement soudain survient alors : plus de tracteur pour épandre des cochonneries dans notre environnement (payées avec notre argent et offertes par cette Europe à nos pauvres paysans), plus d’excréments d’animaux nourris par ces aliments subventionnés répandus sur nos sols, et plus de pétrole pour approvisionner les usines qui relarguent des choses que personne n’aimerait retrouver dans l’eau de son robinet. Alors nos rivières, cours d’eau et nappes phréatiques redeviendront potables. À condition que la pluie n’ait pas quitté nos contrées ou que l’eau disponible ne soit pas toute gelée !