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Cueilleurs en résistance

Cueilleurs en résistance

Article paru dans Yggdrasil n°4 – avril 2020

Cueilleurs en résistance

Sorti en septembre 2019, Cueilleurs en résistance est un film sur le métier de cueilleurs de plantes sauvages et sur les pratiques soutenables pour éviter le pillage. Dans ce documentaire, son réalisateur, Julien Despres, épingle également le rôle dévastateur d’une agriculture intensive ainsi que les impacts des demandes en « phyto » dans les pays du Sud. Il nous raconte ici comment est né ce film, à voir absolument par toutes les personnes que le sujet touche…

Histoire de mon parcours C’est après avoir vu le film Blow Out à l’adolescence que mon envie de devenir ingénieur du son au cinéma a émergé. J’avais déjà, à cette époque, une vision très critique du mode de vie que la société nous impose. Par exemple, j’ai toujours eu beaucoup de mal avec la valeur « travail », et encore plus avec le modèle hiérarchique qui l’accompagne. L’idée de me lancer dans des projets créatifs et artistiques est devenue une évidence pour vivre en harmonie avec mes envies de liberté et d’autonomie.
Après mes études, je travaille comme technicien son sur de nombreux projets musicaux ou audiovisuels. Mais, au fil des années et des expériences, notamment auprès de grands médias qui réduisent la création à de simples paramètres économiques, mon métier devient un boulot alimentaire qui perd peu à peu de son intérêt. Je me pose alors sérieusement des questions sur mon avenir. C’est justement à cette période que je rencontre Jérôme Polidor sur un projet audiovisuel associatif. Lui est monteur image et a créé avec quelques amis « La mare aux canards » : une association de production audiovisuelle au sein de laquelle ils produisent leurs créations avec leurs propres moyens. Séduit par l’idée, je rejoins très vite Jérôme pour coréaliser notre premier documentaire, Noir coton. Viendra ensuite Profession journaliste, que je réalise seul. Ces films engagés deviennent alors ma priorité. Donnant enfin un sens à ma vie professionnelle, ils me permettent de répondre à la question qui me taraude : pourquoi est-ce que je travaille dans l’audiovisuel  ?

Genèse du film

Cueilleurs en résistance

En août 2014, je participe au tournage d’une interview pour une émission de télévision à grande audience. L’ethnobotaniste interviewé m’apprend alors que personne, mis à part les pharmaciens, n’a le droit d’informer des propriétés médicales et thérapeutiques des plantes et que le diplôme d’herboriste a été supprimé en 1941 par le gouvernement de Vichy. Cette révélation m’a profondément troublé. Intrigué par la disparition d’une profession que l’on retrouve pourtant dans de nombreux autres pays, je décide d’engager des recherches sur le sujet. Et, très rapidement, je tombe sur les écrits de Thierry Thévenin, un paysan herboriste engagé… qui est aussi le chroniqueur pour Yggdrasil de la rubrique « Les douze travaux d’Hercule qu’il ne fallait pas faire ». Séduit par son immense respect des plantes et de la nature, j’adhère instantanément à son approche et à ses prises de position. C’est en approfondissant ce thème que le film est né…
Qui n’a pas son flacon d’huile essentielle dans son placard à pharmacie ? Qui ne s’est pas intéressé aux soins par ces plantes asiatiques dont on ne cesse de vanter les vertus ? La mode du soin naturel à base de plantes, qui connaît aujourd’hui un véritable engouement populaire, engendre une situation critique de sur-cueillette des plantes médicinales, pour la plupart sauvages. En parallèle, l’agriculture et ses nouvelles pratiques chimiques ont des conséquences encore plus désastreuses sur ces plantes médicinales. L’agriculture intensive fait reculer à peu près partout une biodiversité indispensable à notre équilibre
écologique naturel.
J’ai voulu réaliser ce film pour faire réfléchir à notre impact sur les plantes médicinales sauvages et tirer la sonnette d’alarme face à des pratiques qui mettent objectivement la nature en péril. Une cohabitation heureuse entre l’humain et la nature est pourtant possible… Grâce à mes rencontres au cours de ce film, j’en suis aujourd’hui convaincu !

J’ai voulu réaliser ce film pour faire réfléchir à notre impact sur les plantes médicinales sauvages et tirer la sonnette d’alarme face à des pratiques qui mettent objectivement la nature en péril.

Rencontres

Une partie de ma famille élevait des vaches ; j’ai donc passé de nombreux étés de mon enfance à la campagne, dans la Sarthe. J’en ai gardé des traces. Thierry Thévenin, lui aussi, a été sensibilisé à la nature par sa famille. Son grand-père lui a transmis la passion et l’art de la cueillette médicinale. Il en a fait son métier, tout en étant activement impliqué dans la sensibilisation et la préservation des milieux.
Thierry est un homme calme, patient et à l’écoute. Cette tempérance naturelle m’a permis de lui présenter un projet encore fragile, qu’il m’a aidé à faire mûrir. Au gré de nos rencontres, nous nous sommes aperçus que nous partagions nombre d’idées. Il me semblait dès lors cohérent que nous avancions sur ce film ensemble ; je l’imaginais accompagner le spectateur comme il l’avait fait pour moi.
Au fil de nos échanges, il me parle d’Aline Mercan, une médecin anthropologue très critique sur l’univers de la médecine naturelle et sur la filière des plantes médicinales. Par son parcours dans la médecine conventionnelle et sa passion pour la phytothérapie, elle porte un œil aiguisé sur le monde professionnel dans lequel elle évolue. Aline est un électron libre qui vit ses passions et ses convictions sans concession. Difficile de la « coincer » au téléphone, prise par son travail et ses engagements dans diverses associations médicales internationales, elle est pourtant toujours prête à donner son point de vue, une fois le débat lancé. Libre et direct, son franc-parler m’a tout de suite plu !
Ces rencontres avec Thierry et Aline m’ont beaucoup touché par la simplicité avec laquelle elles se sont faites. Nos parcours sont différents, mais notre rapport au monde est le même. C’est pourquoi les tournages ensemble se sont déroulés assez naturellement. Par la suite, la dimension internationale s’est imposée.

Une problématique internationale

Les plantes sauvages n’échappent pas au commerce mondial et subissent partout dans le monde des pressions sur leur milieu naturel. Premier pays fournisseur et importateur de plantes médicinales en France : le Maroc. C’est là que j’ai choisi de me rendre. J’y ai rencontré des personnes conscientes, engagées dans la protection de la ressource, malgré une absence criante de soutien politique environnemental. Dans le pré-Rif, Souhad Azennoud, une agroécologiste, a quitté son poste dans une multinationale pour devenir paysanne et se consacrer au développement durable de sa région. Souhad est pétillante, énergique et pleine d’espoir. Elle soutient et développe des coopératives autour du miel ou de l’huile d’olive en polyculture, en intégrant les jeunes de sa région dans ces projets. C’est aussi ça que raconte le film : l’engagement de certains pour le bien commun.

Production

Cueilleurs en résistance, comme tous les films de l’association La mare aux canards, est produit avec peu de moyens, mais indépendant de tout financement extérieur. C’est pour nous un gage de totale liberté et l’assurance de pouvoir nous exprimer sans contraintes. La société de location de matériel audiovisuel Anatone, que j’ai fondée il y a une dizaine d’années, m’a fourni le matériel vidéo nécessaire au tournage. J’ai beaucoup travaillé seul, ponctuellement accompagné par des amis bénévoles. Quant à Jérôme Polidor, il a toujours jeté un œil bienveillant et critique, en endossant le rôle honorifique de producteur.
Le travail sur ce film a débuté en 2014. Il m’a fallu plus d’un an de travail en amont du tournage pour bien assimiler l’univers complexe du soin par les plantes. J’ai ensuite tourné principalement au printemps et en été, saisons plus propices à la cueillette. Être présent sur plusieurs saisons m’a permis de filmer dans la longueur, de prendre le temps, d’aller jusqu’au bout des « situations » avec chaque personnage et d’obtenir de très beaux moments de vie.
En 2018, les tournages prennent fin et une nouvelle phase commence. Je me retrouve alors seul et face à un impressionnant volume de rushs. Quelles images et quels sons dois-je choisir pour retranscrire l’expérience humaine incroyablement enrichissante que je viens de vivre ? La solution va venir d’un regard extérieur. C’est à cette période que Jérôme me présente Camille Fougère, une monteuse. La rencontre s’avère cruciale pour le film comme pour moi. Camille est sensible à l’idée de se soigner par les plantes et découvre au premier visionnage des problématiques qu’elle n’avait pas forcément envisagées. Le propos faisant mouche, elle m’encourage en m’affirmant que « la matière » est suffisamment riche pour en faire un film.
Par contrainte budgétaire, nous travaillons à distance durant plusieurs mois, ce qui n’est ni classique ni facile ! Nous avançons à petits pas, puis finalisons le montage par une semaine de travail intense chez elle. Même si le temps est compté, nous choisissons mûrement chaque plan. Un vrai travail de fourmi… Au cours de cette étape apparaît la conviction partagée d’installer un rythme lent qui s’intègre aux éléments de nature et accompagne les personnages. Fidèle à mon parti pris, je ne donne pas de chiffres, je ne remonte pas la filière d’un point de vue économique, je ne donne pas des solutions précises. J’ai imaginé ce film comme une « humeur », un témoignage sensible.

Réception du film

Le film sort le 20 septembre 2019. Plusieurs projections sont organisées au sein des réseaux de cueilleurs, dans des salles de cinéma et des universités. Comme pour mes distributions précédentes, ces projections existent grâce à des réseaux militants et à des personnes engagées dans la diffusion de films justement considérés comme « fragiles ». La belle surprise est que de nombreux jeunes adultes se déplacent pour le voir. Ils semblent vouloir s’impliquer dans une situation dont ils ne sont pas responsables, mais qu’ils souhaitent voir changer. Une question revient souvent : « Comment se soigner avec les plantes sans avoir un impact négatif ? »… Hélas, la moralité du marché de la phytothérapie s’apparentant trop souvent à celle du marché du médicament conventionnel, il est difficile d’apporter une réponse claire à une question pourtant simple et légitime.
En revanche, ce qui est certain est que l’argent reste un puissant moteur ! L’utilisation de pesticides en 2018 a augmenté de 24 % en France, avec un impact direct sur la biodiversité sauvage des zones rurales. Notre société calcule, économise, privatise, vend, achète, licencie et ne considère que rarement un être ou une plante autrement que comme une valeur marchande.
Il est urgent de nous reconsidérer enfin comme une composante de la nature. Une nature que nous devons impérativement réapprendre à respecter pour mieux nous respecter nous-mêmes…

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