L’armoise annuelle est, comme toutes les plantes du chaos, présente là où notre civilisation a brutalisé l’écosystème. Pourtant, cette incroyable plante est porteuse d’espoir pour des maladies comme le paludisme ou le Covid-19… si elle ne se fait pas dévorer avant par le juteux business de l’industrie pharmaceutique !
Description
L’armoise annuelle est parfois confondue avec l’ambroisie à feuilles d’armoise, sans doute à cause de la quasi-phobie que génère cette dernière et qui nous la fait voir partout. Même s’il s’agit encore d’une belle et grande plante annuelle, dressée, rameuse, au feuillage découpé, un élément de différenciation est imparable : elle est très odorante. Elle possède un parfum agréable, puissant, pénétrant, alors que l’ambroisie à feuilles d’armoise est inodore. L’armoise annuelle est une plante annuelle estivale qui meurt avec l’arrivée des fortes gelées. En revanche, dès les premières chaleurs de la fin du printemps, elle pousse vite, pouvant atteindre en quelques semaines jusqu’à 2,50 m de hauteur en culture, mais atteignant plutôt de 0,40 à 1,20 m de hauteur à l’état spontané. La plante a une forme générale en pyramide. Les feuilles sont vert clair, entièrement incrustées de petites glandes visibles à la loupe. Vers la fin de l’été, à partir de septembre, les fleurs font de longues grappes terminales, également pyramidales ; elles sont assemblées en petits capitules pendants, possédant chacun un pédoncule bien visible de plus de 1 mm de longueur.
Ecologie
Elle est originaire des steppes chinoises de moyenne altitude, au nord du 40e parallèle (à peu près à la latitude de Pékin). Comme beaucoup d’autres armoises, c’est une espèce indigène des steppes continentales semi-désertiques et tempérées froides. Mais elle s’est adaptée à de très nombreuses conditions en Asie, y compris les milieux forestiers, les terres inondables ou les sols salés. En Chine, on peut la trouver jusqu’à 3 700 m d’altitude.
Elle est aujourd’hui assez largement répandue en Eurasie, en Amérique du Nord et en Argentine. Pour le moment, l’armoise annuelle est plutôt dispersée en France, quoique relativement commune dans le quart sud-est, à basse altitude. Cependant, elle est en pleine expansion dans notre pays comme dans le reste de l’Eu- rope, notamment dans les villes et leur périphérie.
Elle colonise volontiers les sols bien exposés et nouvellement remués tels que les déblais de chantier, les bordures de parking, les friches urbaines, les bermes ferroviaires, les accotements routiers, mais on la rencontre aussi en milieu non urbanisé sur les alluvions fraîchement remuées, comme les carrières et les gravières. Les terrains malmenés et assez azotés lui conviennent tout particulièrement.
Encore une fois, comme toutes nos plantes du chaos, elle est une signature végétale des endroits où notre civilisation est la plus brutale avec les écosystèmes naturels.
L'armoise est une signature végétale des endroits où notre civilisation est la plus brutale avec les écosystèmes naturels.
Une nouvelle espèce au jardin
On la cultive sans aucune difficulté dans la plupart des sols (1). Il suffit de la semer soit directement en place, soit d’abord en terrine, au printemps. La graine est très fine, elle mesure moins de 0,5 mm de longueur ; on peut la mélanger à du sable très fin pour obtenir une levée moins dense.
Quand on met les pieds en place, après les dernières gelées, on réserve un espace d’au moins 50 cm entre eux, voire davantage. L’armoise peut être arrosée une fois par semaine si le terrain est très séchant ou si la météo est caniculaire.
Elle doit se récolter avant la floraison, car son pollen très abondant est parfois allergisant lorsqu’on la manipule en grande quantité. On peut laisser un ou deux pieds faire leur cycle complet jusqu’à l’hiver ; ainsi, on aura presque à coup sûr des semis spontanés l’année suivante.
On la fauche simplement assez bas à la faucille ; on élimine la tige principale, qui fait quelquefois un véritable tronc, ainsi que les tiges les plus grosses. On la coupe ensuite, avec une paire de ciseaux ou une coupeuse, en petits tronçons d’environ 1 cm de longueur. Elle séchera sans aucune difficulté sur des claies ou des draps, à l’ombre, dans un endroit aéré. On sait que le séchage est achevé lorsque toutes les parties peuvent être aisément brisées entre les doigts.
On la garde en sac de papier ou en bocal, à l’abri de la lumière et de l’humidité. Elle n’est pas sensible aux parasites ; au contraire, elle fait fuir de nombreux insectes. On peut la conserver pendant un an jusqu’à la récolte suivante. Ensuite, elle perdrait peu à peu ses propriétés et ses arômes.
Usages alimentaires
La tisane d’armoise annuelle est une boisson tonique au parfum très agréable et puissant. Une pincée par tasse d’eau frémissante (80 °C) suffit. On ne dépasse pas trois semaines de consommation consécutives, à raison de trois tasses par jour au maximum. On peut reprendre quelques semaines plus tard. On s’abstient, par principe de précaution, en cas de grossesse. Au Vietnam, d’après le Pr Petelot (2), l’infusion d’armoise annuelle était une boisson très populaire comme diurétique et pour stimuler l’appétit et la digestion.
Il faut préférer la forme botanique sauvage d’armoise annuelle, plus douce et sans danger lorsqu’on la consomme en quantité modérée. Il vaut mieux ne pas boire de la tisane d’artemisia qui aurait été modifiée et enrichie en artémisinine pour l’extraction industrielle, car cette molécule absorbée en quantité importante et répétée pourrait être difficile à supporter pour le foie.
Usages médicinaux
En Chine, il est maintenant bien connu que Qinghao, nom chinois de l’Artemisia annua, est consommé depuis plus de 20 siècles pour soulager les états fébriles, les courbatures et les maux de tête. Le premier écrit médical qui mentionne explicitement l’emploi de l’artemisia dans le traitement des fièvres intermittentes date de 340 après J.-C. D’autres anciens traités de médecine la préconisent pour soigner les « états de fatigue dus à la chaleur et/ou à la fièvre ». À la même époque, on brûle les feuilles de Qinghao près des maisons pour leurs propriétés insecticides.
C’est la redécouverte de ces données anciennes qui va réhabiliter l’artemisia contre le paludisme au XXe siècle, pendant la guerre du Vietnam. Le paludisme fait alors des ravages parmi les combattants des deux camps. La quinine a fait son temps, son efficacité décline. Tandis que les Américains travaillent sur la mise au point de nouvelles molécules de synthèse (méfloquine, halofantrine) aux terribles effets secondaires, qui détruiront la vie de milliers de vétérans, les Chinois, qui sont les puissants alliés des Viêt Cong, revisitent la pharmacopée traditionnelle et redécouvrent l’Artemisia annua.
Mais « la découverte chinoise se perd dans l’océan du mépris occidental pour la médecine traditionnelle, dans un contexte d’extrême méfiance à l’égard de Mao (3). » En outre, en Europe et aux États- Unis, « le paludisme était beaucoup mieux contrôlé que maintenant. Quand on voit la notoriété actuelle de l’artémisinine, on ne peut imaginer à quel point nous en ignorions tout à l’époque », témoigne Gilles Roche, directeur du programme Impact Malaria chez Sanofi-Aventis (4).
En 1972, une publication scientifique démontre que 90 % des 21 malades du paludisme ont été guéris à Pékin avec des extraits de Qinghao. Plusieurs molécules dérivées de l’artemisia sont alors rapidement fabriquées et de grandes entreprises pharmaceutiques comme la Kunming Pharmaceutical Corporation lancent des productions agricoles d’armoise annuelle. Ces firmes sont aujourd’hui parmi les principaux pourvoyeurs mondiaux en dérivés de l’artémisinine.
Artemisia : le plus grand espoir mondial de fournir un traitement au paludisme.
Au fil des décennies, le monde occidental ne peut que constater l’aggravation des résistances des souches de paludisme aux traitements de synthèse classiques. L’OMS va consacrer la notoriété de l’artemisia en 2001, lorsqu’elle déclare que « le plus grand espoir mondial de fournir un traitement au paludisme vient de Chine. »
La première utilisation à grande échelle des dérivés de l’artemisia se fait en Afrique du Sud, au début des années 2000. En l’espace de deux ans, cette utilisation, associée à une campagne de lutte contre les moustiques, a fait baisser la mortalité due aux formes graves de paludisme qui sévissaient alors. Aujourd’hui, tous les géants de Big Pharma – Novartis, Sanofi-Aventis, GlaxoSmithKline, etc. – sont sur les rangs. Rapidement, dès les années 2000, Qinghao est devenu une ressource stratégique qui rapporte des milliards aux laboratoires et à l’agriculture chinoise. La plante, actuellement cultivée à grande échelle dans de nombreux pays, est au centre d’une véritable guerre économique de monopole ; le film de Bernard Crutzen, Malaria Business (5), en rend parfaitement l’ampleur et fait froid dans le dos. Même si la découverte de la molécule d’artémisinine a valu le prix Nobel de médecine à la chercheuse chinoise Tu Youyou en 2015, dès 2012 l’OMS déclare « la guerre » à la tisane d’armoise, sous le prétexte qu’elle n’est pas stable ni contrôlable, tant au niveau de sa composition qu’au niveau de ses effets. Le jeune médecin congolais, le Dr Jérôme Munyangi, a eu beau prouver scientifiquement, à ses risques et périls, que trois semaines de tisane quotidienne d’armoise annuelle guérissent près de 100 % des malades (6), rien n’y fait pour l’instant. Ses résultats avaient été acceptés et publiés par la prestigieuse revue médicale Phytomedicine Journal, éditée par Elsevier, mais, en 2019, la publication a été rétractée par le rédacteur en chef d’Elsevier, car « des inquiétudes ont été soulevées concernant l’approbation en temps opportun, par le comité d’éthique, de l’étude présentée par cet article, le consentement des participants à l’essai à publier leurs données, ainsi que la fiabilité des données incluses dans l’article (7) ». Quoi qu’il en soit, il est quand même un peu difficile d’accueillir, un an après la parution
initiale de l’article, les inquiétudes d’Elsevier en matière d’éthique sur le consentement des villageois congolais à la publication ! Quant à la fiabilité des données, comment accepter les yeux fermés cet argument lorsque l’on sait que cette même maison a reçu, en 2009, de l’argent de la part du laboratoire Merck pour créer une fausse revue scientifique afin de promouvoir les médicaments du groupe, et notamment de dissiper les craintes qui commençaient à émerger dans le public à propos des dangers du Vioxx© ?
Comment la tisane et les pratiques traditionnelles pourraient-elles passer sous les fourches caudines de la recherche médicale académique ? C’est très difficile, pour ne pas dire impossible, car, comme l’exprime très simplement Philippe Deloron, directeur de l’unité « santé de la mère et de l’enfant face aux infections tropicales » à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) :
« L’intérêt du médicament est de donner une dose précise de principe actif. Avec une infusion, vous ne pouvez rien contrôler. » Au-delà, d’un point de vue pragmatique, les données ethno-pharmacologiques (8) relatives à l’artemisia révèlent un nombre absolument stupéfiant d’usages et d’indications médicinales traditionnelles, anciennes ou récentes.
L’armoise annuelle a été employée contre les maux de gorge, la bronchite, la diarrhée, les hémorragies, les mycoses des pieds, l’eczéma, les fièvres intermittentes, les affections oculaires, le choléra, la dengue, la maladie de Chagas, la leishmaniose, l’hépatite B, le VIH, le lupus érythémateux disséminé, l’herpès de type 1… De nombreuses études confirment son intérêt dans les cancers du sein, du poumon, la leucémie. Elle donne souvent des résultats positifs pour soulager les symptômes de la maladie de Lyme. Son intérêt comme complément de traitement contre la maladie d’Alzheimer est reconnu au Japon et dans certains États américains. La liste de ses vertus et de ses usages est effectivement tout simplement édifiante !
Sans vouloir, bien entendu, claironner à la plante miracle qui guérirait tous les maux actuels de notre civilisation, je pense pou- voir affirmer que nous avons sans doute un rendez-vous incroyable et profitable avec elle en ces temps de chaos. Quoi qu’il en soit, au vu de son innocuité sous forme de tisane, Artemisia annua a toute sa place en tant que remède populaire de première intention, ou comme complément ou adjuvant des traitements existants.
Précautions d’emploi
Quelques effets indésirables ont été rapportés, comme des nausées, des diarrhées ou des douleurs abdominales ; aussi, les personnes qui souffrent de troubles digestifs doivent être prudentes si elles veulent essayer cette plante. On a aussi constaté quelques rares cas de vertiges, d’acouphènes et de démangeaisons.
Un seul cas grave d’hépatite aiguë serait attribué à la consommation à haute dose d’artémisinine, molécule isolée, dérivée de la plante.
D’après l’ouvrage de référence Botanical Safety Book (Gardner, 2019) qui fait le point international sur la sécurité relative à la consommation des plantes, l’armoise annuelle est inoffensive sous la forme de tisane. Elle est simplement déconseillée en cas de grossesse et d’allaitement, par principe de précaution à cause du manque d’in- formations.
(1) grainedevie.net : vous pouvez trouver sur ce site des graines ou des plants de très haute qualité, produits selon le cahier des charges Simples.
(2) Petelot, 1953.
(3) Sanner, 2008.
(4) Ibid.
(5) Malaria Business, film documentaire de Bernard Crutzen, coproduction Caméra One Télévision – RTBF, 2017, Belgique, Congo, Sénégal, Madagascar. Version disponible sur Youtube.
(6) Munyangi Jérôme & al., 2018, « Artemisia annua and Artemisia afra tea infusions vs. artesunate-amodiaquine (ASAQ) in
treating Plasmodium falciparum malaria in a large scale, double blind, randomized clinical trial », Phytomedicine Journal, volume 57 (2019), pp. 49-56.
(7) Article retiré.
(8) Sadiq & al., 2014.