
Projets inspirants : zoom sur la demeurée, lieu culturel associatif normand
De visite sur ma terre natale, la Normandie (eh oui, on ne peut pas tout avoir dans la vie), je m’enquiers des projets alternatifs environnants (mon dada) et me souviens d’un lieu dont m’avait parlé un ami il y a quelques années de cela… après maintes recherches poussées (soit une recherche Duckduckgo et deux clics), je parviens à retrouver sa trace ! Je contacte alors Gauthier Jokic, référent du jardin pédagogique de La Demeurée, un lieu culturel associatif.
J’ai même eu l’occasion de participer à une soirée documentaire et une initiation au tango.
Me voici, mon enregistreur de son dans une main et mon carnet dans l’autre, à la rencontre de ce projet inspirant que j’ai eu envie de partager avec vous.
Faute d’avoir la place pour un reportage dans la version papier du journal, je prends ma revanche en ligne !
C’est parti donc, pour un épisode 100 % Calvados, un peu moins local si on considère qu’Esprit Autonome est réalisé en Ariège et en même temps plutôt local si on considère que je suis normande et que cela reste en France… Tout est une question de point de vue 😉

La Demeurée
Située à Saint-Contest près de Caen (dans le Calvados non loin des plages du débarquement, pour celles et ceux ayant de vagues souvenirs de sorties scolaires), ce projet a émergé il y a 10 ans, alors que des ami·es cherchaient à s’installer ensemble en colocation.
Il·elles voient dans ce vieux corps de ferme un grand potentiel et se motivent à le rénover avec l’aide de bénévoles extérieurs, doucement mais sûrement, de l’isolation au parquet. En parallèle ils accueillent de nombreux évènements, engagés pour la plupart.
Il y a bientôt quatre ans, après sept ans de vie, une transformation s’opère : devant l’essoufflement général des bénévoles, La Demeurée change de structure pour devenir une association.
Elle comprend maintenant trois salariés : une personne est référente coordination, une autre de la programmation des évènements et la dernière du jardin pédagogique.
C’est cette dernière personne, Gauthier Jokic, qui m’accueille et m’introduit au lieu.
Le projet s’articule autour des différents bâtiments présents sur le lieu (et a commencé par la maison qui est une colocation, au milieu sur le dessin) :

Deux grands pôles
Les deux cœurs d’activité de la Demeurée sont l’accueil et le jardin pédagogique.
• Lieu d’accueil
Il est possible de louer la grande salle pouvant accueillir jusqu’à 250 personnes debout (sans compter l’extérieur, l’espace buvette et même quelques chambres qui peuvent être mises à disposition selon les besoins).
« Le week-end dernier nous avons accueilli le forum des luttes et le prochain sera dédié à de la musique électro. »
Concerts, spectacles, formations, bal, cours de danse mais aussi résidences d’artistes, ce lieu se prête à un grand panel d’envies.
En 2023, la Demeurée décompte 6500 personnes qui sont venues à 46 évènements programmés sur l’année (soit quasi un par semaine, avec une pause en août et au nouvel an).
• Jardin pédagogique (aussi appelé « Le Jardingue »)
D’une superficie d’environ 1000m2, il comprend plusieurs supports : des arbres fruitiers, une mare, un poulailler, une serre… « nous récoltons les pommes pour faire du jus (lors d’une grande aprem participative), nous faisons sécher les figues (grâce à un séchoir solaire et électrique, pratique en Normandie!), récoltons le miel… mais au fond l’objet de ce jardin n’est pas tant sa dimension productrice. »
L’idée, nous raconte Gauthier, est d’utiliser la surface du jardin comme support d’éducation populaire en proposant des atelier à destination d’un large public : scolaire, adultes en réinsertion, bénévoles, structures de jeunes en décrochage scolaire.
Par exemple, avec une classe allophone (des enfants dont ça n’est pas la langue maternelle et qui apprennent le français) il propose une série d’ateliers sur le lien à la terre. Il s’agit d’une réflexion autour de la terre, de comment la cultiver et se l’approprier pour se sentir appartenir à quelque part.
Des artistes réalisent aussi un documentaire autour d’un projet de production de légumes ; un autre projet autour de l’eau est en cours avec des classes de maternelle… les possibles sont vastes.
En plus des ces deux pôles principaux, de nombreux autres gravitent autour :
• des espaces loués ou prêtés à des artisans (pour l’instant une pièce est utilisée par une brasserie, une autre par un fabriquant de terrarium et un garage sert de stockage pour une entreprise d’écoconstruction et une céramiste qui y entrepose son four) ou des agriculteurs (fermage, stockage)
• un studio de musique (autogéré grâce à un agenda en ligne)
• un four à pain et à pizza en métal sur remorque, aussi appelé « Foufour » (cf encadré)
• un relais AMAP
• des ruches
• un jardin partagé collectif comprenant une serre de 12m, accessible aux bénévoles à tout moment en plus de rendez-vous mensuels pour faire ensemble
• la maison qui offre plusieurs chambres en colocation
Pour la suite, Gauthier me parle de leur désir de toucher davantage les locaux et de travailler plus étroitement avec la commune (ce qui va déjà être le cas avec l’école, voisine du lieu). L’AMAP est un autre levier : début septembre ils sont passés de 5/6 à 17 paniers.
Je trouve cela précieux de se demander « où est-ce que j’en suis dans ce que je/nous avions projeté à la base ? »
Nom et logo

Le nom et le logo proviennent de l’alliage de l’aspect habitat (demeure) qui a été fondamental ainsi que du sens figuré représenté par l’entonnoir renversé, symbole de folie pour un projet fou et audacieux, qui vient chapeauter le tout.

Le "foufour"
Aujourd’hui mutualisé par trois associations (La Demeurée, Bande de sauvage et le Cep), ce four a été auto-construit à l’Atelier Paysan à Saint Nolff (Morbihan).
Il s’agit d’une coopérative qui travaille autour du développement des outils agricoles pour que les paysan·nes puissent se les réapproprier et les réparer de manière simple.
L’Atelier Paysan propose des formations pour apprendre à construire soi-même ses outils, travailler le métal, le bois ; et d’une manière globale autonomiser un maximum les paysan·nes dans leurs pratiques quotidiennes.
Les frais pédagogiques peuvent être pris en charge totalement ou partiellement par les organismes de formation.
Plus d’info sur leur site : latelierpaysan.org
Évolutions
Quelles sont les évolutions observées après 10 ans de vie ?
Depuis trois/quatre ans que le projet s’est transformé en association, la gouvernance est partagée entre un conseil d’administration d’une dizaine de bénévoles et l’équipe quotidienne (3 salarié·es et 2 services civiques).
Les défis ?
Que le lieu tienne économiquement avec la charge des salariés (qui sont au SMIC à 28h/semaine et payés par les recettes des évènements ainsi que des subventions).
Pour Gauthier, trouver un modèle économique qui fonctionne tout en gardant les valeurs qu’ils ont envie de porter au quotidien est un équilibre délicat à trouver.
Il y a aussi l’idée que ça perdure. « Pouvoir transmettre ce lieu, qu’il soit utilisé par des gens qui s’approprient et fassent vivre les outils, que le lieu se transmette dans son usage aux autres. Ça vaut aussi pour les salariés, que l’outil du jardin puisse être transmis à une autre personne qui viendrait prendre le relai. C’est un enjeu sur le long terme. »
… et qu’en est-il des conflits ?
« Il y a une forme de conflictualité qui ne brise pas les liens qu’on a et qui est faite en bonne intelligence. »
Des pistes pour quiconque aimerait se lancer et faire tenir ce genre de projet :
« Je trouve ça chouette d’aller voir des gens qui ont fait ce genre de projet, qui ont de l’expérience dans la collectivité. La capacité à savoir discuter, c’est super important afin d’être sûr·e que nous allons dans la même direction.
Un autre gros point pour moi c’est de réussir à prendre du recul. C’est pourquoi c’est complexe d’à la fois vivre et travailler sur place, car nous avons toujours le nez dedans. Nous avons vite fait de nous retrouver embarqués dans une routine, de se prendre la tête pour des petites choses et de ne plus voir l’avancement alors même qu’il est en cours. Je trouve cela précieux de se demander « où est-ce que j’en suis dans ce que je/nous avions projeté à la base ? »
Gauthier met aussi en emphase le fait de rester ouvert au soutien de tous les gens prêts à filer des coups de main. La Demeurée vit grâce au soutien bénévole, qu’il soit ponctuel ou régulier ; pas seulement via un noyau dur qui porte tout.
Un grand merci à Gauthier pour son accueil ainsi qu’à toutes les personnes qui permettent au lieu d’exister et de nourrir les liens !
Pour aller plus loin
• Le site de la Demeurée : la-demeuree.fr
• Le site de l’Atelier Paysan, coopérative d’autoconstruction : latelierpaysan.org
