Reportage

Connexion au vivant et école de la forêt avec Jean-Claude Catry

Connexion au vivant et école de la forêt avec Jean-Claude Catry

Il est 6 h du matin en France et 22 h au Canada lorsque nous commençons notre entretien par écrans interposés avec Jean-Claude Catry. C’est à Salt Spring Island (une île canadienne sur la côte du sud-ouest) que Jean-Claude a, entre autres, cofondé une école de la forêt, la première de son genre.

Une tresse de chaque côté du visage, sa peau de bête sur les épaules, il nous fait part de sa vision du monde tout en nous racontant son histoire et celle de l’école.

Après avoir respectivement partagé nos gratitudes (ce pour quoi nous nous sentons reconnaissant là tout de suite), nous parlons de connexion à la nature, de dons, d’art du mentorat et de communauté.

© Gaëtan Wittamer

Au départ : une quête de sens

Lorsque je lui demande comment il en est arrivé à faire ce qu’il fait aujourd’hui, Jean-Claude se remémore son enfance. Avec tranquillité, il raconte : « Je suis né dans un petit village où j’ai connu a vie en communauté et où j’ai commencé à expérimenter la connexion aux gens et à la nature. À l’âge de 7 ans, il y a eu une interruption parce que mes parents ont déménagé en ville pour des raisons économiques. Je me suis senti arrêté dans mon développement. J’étais encore relié à cet instinct que nous avons en grandissant, lorsque nous cherchons des personnes pour nous accompagner. Je n’ai jamais perdu ce goût à la connexion à la nature et aux humains, je l’ai toujours cherché. »

Adulte, sa quête se traduit par une coupure avec les injonctions sociétales qui lui pèsent : « J’ai arrêté d’être un joueur de foot semi-professionnel, j’ai arrêté de devenir un prof de gym, j’ai refusé d’aller au service militaire… » Lorsque son père le met à la porte, Jean-Claude décide de suivre sa propre voie.

Il devient alors guide de randonnée à cheval dans les milieux sauvages au sein des Pyrénées. Il se souvient que bien qu’il se reconnectât à la nature, il s’éloignait des personnes. Arrive donc ce qu’il nomme sa seconde étape : la reconnexion à ses pairs.

Suite à ces deux grands chapitres de sa vie ayant duré chacun dix ans, il découvre le modèle des 8 Shields (les « 8 boucliers »).

L’art de la connexion au vivant 

Élaboré et conceptualisé par Jon Young, les 8 Shields sont le fruit de nombreuses années de recherches autour de ce qui favorise, crée et nourrit la connexion à la nature (et donc aux autres et à soi) dans différentes cultures aux quatre coins du monde.

Il s’agit d’une synthèse théorique qui donne lieu à des routines de base et tout un tas d’exercices possibles pour entretenir notre connexion au vivant.

Jean-Claude nous explique deux de ces routines principales. Il y a le « sit spot » (aussi appelé « place médecine » en français), consistant à s’asseoir quotidiennement au même endroit pendant au moins une vingtaine de minutes et à observer à travers tous nos sens ce qu’il se passe autour de nous. Puis il y a le récit : raconter à d’autres ce que nous avons vécu durant ce temps d’observation en donnant le plus de détails possibles.

Ces deux pratiques sont appliquées chaque jour à Wisdom of the Earth (La sagesse de la terre), l’école alternative fondée il y a 19 ans sur l’île de Salt Spring près de Vancouver par Jean-Claude et Ingrid Bauer, sa compagne.

Inspiré par une école en Inde, Jean-Claude souhaite proposer quelque chose de similaire là où il vit – au Canada.

Logo de l'école Wisdom of the Earth

« Il y a plein de synchronicités qui ont fait que l’école s’est créée. Je pense que c’est ainsi que cela la vie fonctionne : lorsque nous sommes dans notre vision, la nature nous aide et les synchronicités viennent pour nous soutenir, j’en ai eu la preuve de nombreuses de fois.
Tout ce que je fais c’est d’être au service de cette vision. Chacun de nous porte une portion de la vision de la vie, qui est un élément essentiel pour que la vie puisse continuer. 
»
Après avoir accompagné des enfants pendant 16 ans, ce sont maintenant des adultes dont Jean-Claude s’occupe à travers différents programmes allant de l’immersion annuelle à des week-ends sur plusieurs mois.
« 
Nous formons des mentors (des personnes qui font office de référent), mais aussi des adultes qui vont être capables d’élever leurs enfants d’une façon beaucoup plus soutenante. »

Une journée à l’école « Wisdom of the Earth »

À quoi ressemble concrètement une journée à l’école ?
Elle suit la roue des 8 Shields, au sein de laquelle chaque direction correspond à une énergie elle-même liée à un moment de la journée et à une activité.

Le nord-est : Le matin, lorsque les enfants arrivent, un jeu leur est parfois proposé pour « dépoussiérer la poussière du voyage » et les rendre davantage présents.
Jean-Claude précise « 
Parce qu’ils arrivent avec tous les bagages de la civilisation, ils ont besoin d’évacuer ça de leur corps (les films qu’ils ont vus la veille, les disputes qu’ont eu leurs parents…). S’ils sont déjà calmes et centrés nous commençons avec un cercle de gratitude. »
L’unité du groupe et la présence (à soi, aux autres, à la nature) est créée à travers des chansons et l’expansion des sens. C’est le même début tous les jours.
L’est : Vient ensuite le moment de l’inspiration pour l’activité du jour : une histoire est racontée, un objet montré… avant de s’attaquer à l’activité en elle-même (sud). Par exemple l’étude du langage des oiseaux, le pistage de mammifères, la pratique d’arts ancestraux tels que la vannerie, la poterie, le feu ; le pistage intérieur… « Ce qui importe ici c’est l’expérience de connexion, la partie éducative en découle d’elle-même. Par exemple une jeune fille passionnée de chevaux va de fait vouloir apprendre plein de choses sur ces derniers. »
Le sud-ouest : Après le repas du midi, il est temps de faire autre chose qui n’est pas en lien avec ce qui a été appris dans le sud. Quelque chose qui amène de la relaxation – au moins mentale – après s’être concentré intensément.

www.wisdomoftheearth.ca

« Il s’agit de temps libre, de jeux dans la nature comme ils l’entendent, de suivre leurs instincts. »
L’ouest : C’est la récolte de l’histoire de la journée pour clôturer ce temps ensemble.
Cela permet à chaque personne de tirer la signification des expériences vécues.
Le nord : Partage d’une sagesse qui peut sortir de l’expérience de la journée.

« 
Ainsi, ils sont prêts pour revenir dans le cycle, revenir le lendemain avec une nouvelle inspiration. Il n’y a pas un jour qui ressemble à l’autre, c’est toujours différent parce que c’est vivant : ça dépend de l’inspiration du mentor, de là où en sont les enfants, c’est créatif ! »

Les défis rencontrés à travers cette aventure

« Le premier défi ce sont nos propres blessures intérieures. »

Jean-Claude raconte un conflit qui fut un moment clé pour l’école. Certains parents souhaitaient changer complètement le programme pour leurs besoins d’école à la maison. La structure de l’école (qui régissait ces grosses décisions) avait été créée de telle sorte que seuls les parents puissent être directeurs. Quelque chose clochait.
En parallèle, Jean-Claude réalise que dans son parcours personnel il s’est « initié » lui-même :
« dans une initiation, c’est très important d’être envoyé par la communauté, d’aller à travers l’épreuve et d’être accueilli de nouveau par la communauté. Je me suis rendu compte que j’étais en train de manifester cela dans ma relation avec les parents : « ils ne me comprennent pas, je ne suis pas soutenu ». J’agissais avec cette blessure, donc forcément cela envenimait la situation. »
Il organise alors une cérémonie au cours de laquelle il raconte tous les endroits où cette blessure a été activée durant sa vie pour pouvoir la transformer.
Suite à cela, il lui apparaît très clair qu’il est nécessaire de séparer l’association du programme.
« 
C’était risqué, je ne savais pas du tout si j’allais être soutenu… mais c’était clair.
Le résultat fut que tous les parents étaient contents que ça se passe ainsi.
Je dirais donc que premier défi dans l’application de notre vision c’est de faire avec nos blessures parce que tout ce que nous faisons en est imprégné.
Lorsque nous sommes capables d’être au service de la vie, nous complétons le processus de guérison car nous avons transformé le schéma pour nous-même et tous ceux que nous touchons.
 »

Le premier défi ce sont nos propres blessures intérieures.

Il ajoute qu’un autre grand défi selon lui sont les obstacles rencontrés lorsque nous essayons d’amener « une culture de la connexion dans un environnement qui construit et reproduit la déconnexion ».
Il y a l’enjeu d’accès à la terre
, de trouver un terrain où amener les enfants dans la nature, mais aussi de la confiance des parents. Qu’ils puissent s’ouvrir à d’autres adultes pour accompagner leurs enfants.
« Les parents étant déconnectés, quand les enfants deviennent connectés cela crée une division dans la famille. Parce que les enfants se disent « moi je connais autre chose et votre façon de faire ne me convient plus. » Les parents vont essayer de réprimer l’enfant ou de le sortir de l’école parce qu’il devient trop libre, trop autonome. »

www.wisdomoftheearth.ca

La traversée des obstacles

Jean-Claude nous livre ce qui lui a permis de traverser les obstacles, les moments de rudesse et de doute dans le projet : « La première chose c’est l’exemple de ces indiens qui m’ont inspiré la création de l’école : rester en alignement avec la vision. » Il pense que les défis se règlent à partir de cette racine.
Il donne l’exemple de l’agriculture biologique, qu’il a vu portée par des gens visionnaires au début, puis peu à peu récupérée par de grosses entreprises devenues propriétaires du label. Des champs de plusieurs milliers d’hectares en monoculture sont maintenant estampillés « bio ».

Jean-Claude pense que le projet a perdu son essence car il n’y avait pas de personne pour garder cette vision d’origine. « Les structures de déconnexion sont tellement internalisées en nous que nous allons défendre ces structures et contre-carrer les essais d’alternative. Ce sont les gens eux-mêmes, dans leurs bonnes intentions qui vont vouloir reproduire ce qu’ils connaissent, parce que le connu nous rassure. La connexion, cela fait peur. Parce que dès que nous commençons le travail de connexion, cela permet à notre corps de ramener à la surface tous les deuils. Le corps se dit « chouette nous allons pouvoir résoudre ça ! Ça m’embarrasse toutes ces structures qui m’empêchent d’exprimer mon instinct » et donc il en profite. »
C’est un processus de transformation puissant qui « demande que nous devenions confortables avec l’inconfortable, avec le mystère. »
Il parle également de contrôle et de lâcher prise. D’arrêter de vouloir contrôler la nature (de toute façon nous ne pouvons pas, en revanche nous pouvons la détruire). D’oser avoir confiance et se laisser guider…
« C’est très soulageant, assure Jean-Claude. C’est super fatiguant d’être dans le contrôle !»
Il rajoute que si nous souhaitons profondément changer le monde, il est d’une importance primordiale d’amener les gens dans leurs dons et dans leur vision ; ainsi d’avoir un « contenant culturel », une communauté suffisamment forte qui soit capable d’accueillir ce mouvement de transformation de guérison de nos blessures.

La première chose qui m’a aidé à traverser les moments de doute c’est de rester aligné avec ma vision. 

Un petit pas ?

Jean-Claude nous enjoint à nourrir toutes les expériences qui nous connectent à la nature, en particulier au sein de groupes.
Il nous encourage aussi plus spécifiquement à pratiquer la « place médecine » – c’est à dire s’asseoir dehors en observation plusieurs minutes par jour- et à trouver quelqu’un avec qui partager
les récits de ce dont nous sommes témoins.

Pour aller plus loin

Le site de 3ème option qui propose des temps d’immersion de connexion à la nature : https://troisiemeoption.org/

La formation de l’Appel du Mentor : https://troisiemeoption.org/lappel-mentor/

Le site de l’école Wisdom of the Earth (en anglais) : https://www.wisdomoftheearth.ca/

• Le documentaire L’autre connexion réalisé sur l’école : https://www.helloasso.com/associations/troisieme-option/evenements/commander-le-dvd-du-film-l-autre-connexion-une-ecole-dans-la-nature-sauvage

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