Article paru dans Yggdrasil n°4 – avril 2020
Durant l’été 2019, Looby Macnamarra animait une formation autour de « l’émergence culturelle » sur son lieu vie, à Applewood, au Pays de Galles. Cette formation était co-facilitée par Maddy Halrand, de Permaculture Magazine (lire Yggdrasil n° 1), Jon Young (fondateur des « 8 shields ») et Starhawk (lire Yggdrasil n° 3). Auteure notamment de People and Permaculture, qui sera bientôt publié en français, Looby est reconnue dans le domaine de la permaculture et participe à de nombreux projets, dont des formations.
C’est après un partage de gratitude que notre échange débute…
COLINE SAINT-JOURS • Bonjour Looby ! Merci d’être là ce matin. Afin de poser un peu le décor, j’aimerais aborder ton quotidien : quelles routines y intègres-tu ?
Lobby Macnamarra • La gratitude y joue un rôle très important, le matin, le soir et tout au long de la journée. Par exemple, en marchant pour me rendre d’un bâtiment du lieu où nous sommes à un autre, j’aime prendre le temps de m’arrêter, d’écouter, de regarder et de ressentir ce qui m’entoure.C’est après un partage de gratitude que notre échange débute…
CSJ • Quelles sont tes croyances ?
LM • Je ne m’identifie pas à une religion en particulier. Toutefois, je crois qu’il existe une dimension plus spirituelle à l’univers, que je ne nomme pas. Mais, si je devais le faire, ce serait quelque chose comme « le Mystère » ou « la Magie ». Je crois qu’il existe une plus grande organisation du monde que ce à quoi nous
avons accès.
CSJ • Tu as écrit plusieurs livres et notamment un sur la permaculture humaine. Pourrais-tu nous aider à y voir plus clair sur ce concept ?
LM • La permaculture humaine est une opportunité d’être proactifs dans nos choix, de voir nos relations sous un autre angle. Et par « relations » j’entends les relations aux autres, bien sûr, mais également à nous-mêmes, voire au monde des non-humains. Il s’agit simplement d’observer davantage les interactions et les flux, puis de les diriger de manière positive.
Je vois la permaculture humaine comme une boîte à outils qui nous permet de promouvoir et d’améliorer notre bien-être. L’intention initiale est d’élaborer un bien-être personnel, collectif et planétaire, et à différents niveaux. Bien-être physique aussi bien que relationnel ou bien-être lié à notre travail et au sens que nous donnons à notre vie. Si l’on définit le bien-être comme « le fait d’être aligné », nous nous rendons compte que nous sommes souverains de notre vie et donc que nous avons le pouvoir de créer nous-mêmes notre propre bien-être.
Pour créer de l’abondance, la gratitude est l’une des pratiques fondamentales.
CSJ • Comment t’es-tu retrouvée à explorer ce domaine ?
LM • J’ai découvert la permaculture lors de mon diplôme en sciences humaines. Au début, je ne comprenais pas vraiment ce que c’était, alors j’ai participé à un stage PDC [Permaculture Design Course : cours de design en permaculture qui dure généralement 72 heures, ndlr]. Cela m’a inspirée pour cultiver ma propre nourriture, bien sûr, mais pour moi la plus grande inspiration fut la méthode d’enseignement. Cette dernière a stimulé ma créativité et réveillé un réel plaisir à collaborer avec les autres participants. À ce moment-là, j’ai ouvert des possibles et j’ai eu la certitude que nous avons chacun le pouvoir de trouver des solutions. J’ai réalisé que « l’Unique Solution » que tu arrives à trouver après 20 ans d’études, ça n’existe pas ! J’ai compris que plus nous sommes nombreux, plus nous trouvons de solutions créatives. Et plus nous trouvons de solutions créatives, plus il y aura de chances que deux ou trois d’entre elles soient de très bonnes solutions qui résolvent des problématiques profondes.
C’est juste après cette formation tellement inspirante que j’ai commencé à enseigner la permaculture, parce que cela me semblait très ludique. Je me souviens qu’au début de mes enseignements nous pensions que nous avions les solutions pour une régénération massive de la biosphère mal en point. Et c’est bien le cas ! Même sans connaissances pointues, nous avons les compétences, les outils, les ressources permettant d’inverser complètement le réchauffement climatique, de reforester la planète, d’assainir nos sols, notre eau… En tant qu’individus, nous ne savons pas faire cela, mais en tant qu’espèce humaine, si : ensemble, nous savons réellement comment faire.
Alors, pourquoi donc cela n’est-il pas en train de se produire ? La réponse est toujours la même : le problème est humain. Par exemple, peut-être que je sais comment produire ma nourriture dans mon jardin pour être autosuffisant·e, mais je manque de motivation ou je passe trop de temps à procrastiner au travail, donc je n’ai plus de temps pour le faire, ou bien le conseil municipal ne me laisse pas faire des plates-bandes comestibles… Toutes les excuses sont bonnes ! Il ne s’agit pas de décisions politiques internationales, mais bien des gens qui se mettent toujours en travers du chemin de la régénération de la planète.
Me rendre compte que les humains sont la limite qui nécessite d’être transformée a été une énorme source de motivation. À partir de ce constat, nous avons commencé à chercher, avec mes collaborateurs∙trices, comment faire basculer la culture, comment faire évoluer les mentalités, comment nous encourager à améliorer notre bien-être.
Un autre déclencheur a été de reconnaître que, comme moi, même s’ils disent juste vouloir apprendre à jardiner, la plupart des gens qui découvrent la permaculture voient leurs attentes dépassées et ont des révélations plus vastes : ils découvrent un but supérieur, plus grand qu’eux. Quelque chose se réveille, qui ouvre en eux le champ des possibles à entreprendre. Pour beaucoup, le résultat d’une formation en permaculture, c’est qu’ils portent un regard différent sur le monde. Et lorsque nous voyons le monde différemment, alors nous pensons différemment et de nouvelles dynamiques se mettent en place dans notre vie. La permaculture a vraiment ce potentiel d’aider les gens à voler de leurs propres ailes, à trouver un sens à leur vie et à creuser dans cette direction de plein de manières différentes.
Et enfin, ma troisième source de motivation résulte du constat qu’à l’heure actuelle, sur la planète, tout le monde n’a pas accès à une parcelle de terre. De ce fait, prendre soin de la Terre peut sembler un concept bien éloigné, hors d’atteinte, et qui au final ne nous concerne pas vraiment. En revanche, tout le monde est directement concerné par le soin à la personne : si ce n’est pas de quelqu’un d’autre, tu prends au moins soin de toi-même ! Dès lors qu’on envisage la permaculture à travers le filtre humain et qu’on la définit dans son rapport aux autres êtres humains plutôt qu’uniquement à la terre, il devient pertinent pour tout le monde de s’y impliquer : le potentiel s’accroît tout à coup de manière exponentielle !
CSJ • Le stage qui m’a permis de te rencontrer avait pour intitulé « Cultural Emergence » (émergence culturelle). Pourrais-tu nous en dire quelques mots ?
LM • C’est une mission que l’on pourrait résumer ainsi : créer une boîte à outils profondément efficace afin de défier, de réveiller, de mettre en mouvement et de revigorer – pour les nourrir – les individus, les groupes et les communautés, tout en les invitant à prendre conscience de leur propre pouvoir.
L’Émergence Culturelle est une évolution de la permaculture humaine : il s’agit d’utiliser les outils facilitant le changement culturel (je parle notamment de notre culture personnelle). Et cela, aussi bien à grande qu’à petite échelle. Changer les cultures qui actuellement détruisent la planète en cherchant comment créer des cultures régénératives pacifiques.
Cela inclut le travail de Jon Young sur la connexion profonde avec la nature [que nous explorerons dans un prochain numéro, ndlr], la construction de villages et l’utilisation d’outils spécifiques. Durant les formations d’Émergence Culturelle, les individus se rassemblent dans un processus de recherche de solutions collaboratives.
Distiller cette pratique dans notre quotidien permet de réaliser des petits bonds au sein de notre évolution, et ce, à toutes les échelles : de l’individu à l’espèce humaine. Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont de bonds en avant sous forme de sauts quantiques, en tant qu’étapes du changement. Les outils que nous avons rassemblés permettent de se rendre compte de toutes les collaborations possibles et de trouver des manières positives de créer avec tout le monde, de générer des idées et des visions, de penser en systèmes et d’être conscients de notre conditionnement culturel.
La formule serait la suivante : prise de conscience de là où nous en sommes et de notre conditionnement culturel + collaboration efficace avec les autres = chance pour les humains de s’aligner avec le reste des êtres et de créer un bien-être planétaire et collectif que nous sommes si nombreux à espérer.
Mon livre Seven Ways to Think Differently (« sept façons de penser différemment », pas encore traduit en français) est une introduction à cette notion qui nous invite à repérer certains états d’esprit et certaines histoires que nous nous racontons, ce qui permet de nous ouvrir aux alternatives nous permettant d’avancer. Par exemple, la notion de rareté est dominante dans nos pensées et nos actions. Comment engendrer un nouvel état d’esprit centré sur l’abondance qui nous rendra capables de naviguer plus facilement dans la vie grâce à nos ressources ? La gratitude est l’une des pratiques fondamentales, si l’on souhaite que cet état d’esprit d’abondance prenne racine. En outre, reconnaître à quel point les choses qui nous entourent sont merveilleuses nous aide à transformer cette habitude que nous avons de nous plaindre tout le temps.
CSJ • Quels sont les projets pour lesquels tu te sens super motivée, ces temps-ci ?
LM • Je fais partie du projet Mother Nature (« Mère Nature »), qui soutient les mères dans leur transformation personnelle autour des problématiques de réalignement de chemin de vie et de connexion avec la nature. C’est un projet très stimulant, car nous travaillons sur le changement de culture et de regards, afin de faire prendre conscience au plus grand nombre de ce que cela représente d’être mère sur notre Terre. Nous espérons ainsi influencer les générations futures sur ce sujet et créer davantage de soutien aux futures mères.
CSJ • Quel message transmettrais-tu à la Looby d’il y a 20 ans ?
LM • Sortir des zones de confort, rester vraiment ouverte aux opportunités et non pas coincée dans le prévisible. Et surtout me laisser surprendre par la vie et par moi-même.
Pour aller plus loin
Site de Looby : loobymacnamara.com
Centre d’Applewood : applewoodcourses.com
8 Shields de Jon Young : 8shields.org