Il est de ces ouvrages qu’on aborde avec une neutralité, sans affection particulière. Pour être honnête, la couverture ne m’a pas de suite frappé, au contraire. Pourtant, dès les premières pages, mon opinion a changé : « C’est bien, ce bouquin », me suis-je dit. Et j’ai tout dévoré.
Tohar est une jeune femme israélienne, qui, comme chacun d’entre nous, tourne et explore ses sensations à longueur de temps. Elle transcrit son quotidien avec un graphisme vraiment génial, on pense à l’extraordinaire Daniel Clowes en moins sombre, en fumant des clopes, surfant sur le net et son téléphone, au rythme des jours qui défilent. Ses angoisses de jeune femme, les joies de son mariage, les craintes envers les changements de son corps, ses questions sur sa famille, tout est évoqué avec un détachement calculé, et surtout des dessins… incroyables.
Quel plaisir de suivre les métaphores de ses impressions, quelle plongée magnifique dans son auto-biographie, avec une sincérité dans la représentation d’elle-même. Exit les femmes parfaites, les héros fantastiques : elle se peint crûment, sans s’épargner, et s’en dégage une immense beauté, sans mensonge ni détours. Attention, c’est presque dérangeant parfois, tant le choix des traits est personnel. Le parti pris de l’authenticité est clair, elle n’est pas tendre avec elle-même ni avec le lecteur, vous voilà prévenu !
J’ai adoré, c’est un roman graphique frais, qui ne plaira pas à tout le monde, et tant mieux : quel plaisir de se dévoiler ainsi, avec toutes ses faiblesses, avec tant de vulnérabilité, elle a pris des risques en s’exposant ainsi, et c’est justement ce qui fait de cette bédé une incontournable. Amateurs d’innovations graphiques, de chemins tortueux de l’esprit, suivez les péripéties acerbes et pétillantes de cette auteure qui promet. Une découverte comme on aimerait en trouver plus souvent, comme un champignon rare et délicieux sur le bord d’un sentier.
Tohar Sherman-Friedman, Mon âme vagabonde, Delcourt/Encrage, mars 2024