La première scène est monstrueuse. Dans un futur proche (vers 2025), une région en Inde subit la pire canicule de son histoire (je ne révèle pas ici le nombre de morts !). La puissance de cette scène sert de détonateur au monde pour démarrer une tant attendue période d’action climatique : l’ONU crée une nouvelle agence appelée « le Ministère du Futur » afin de représenter les intérêts des générations suivantes. Parallèlement émergent des groupes d’action directe « terraristes » qui, il faut le reconnaître, ne manquent pas d’inventivité ni d’efficacité…
Robinson aime ses personnages, ce qui rend la lecture agréable. Cependant, leur histoire est parsemée de chapitres didactiques, poétiques ou hyperréalistes, qui donnent à ce « mi-roman, mi-essai » un aspect kaléidoscopique dans lequel, étrangement (c’est le génie de l’auteur), se dégage une impression de cohérence. Il y a des passages théoriques sur la création de monnaie, des dialogues sur les rapports entre les institutions internationales ou la tragédie des migrants, des passages étranges sur la vie d’un photon ou d’une molécule de carbone ou des détails très réalistes de la géo-ingénierie atmosphérique ou antarctique. Bref, on apprend plein de choses, et c’est mieux écrit qu’un essai sur le climat !
Kim Stanley Robinson est un géant de la science-fiction à qui l’on doit une vingtaine de romans (pas tous traduits), dont les chefs-d’œuvre Chroniques des années noires et La Trilogie martienne. L’auteur met ici tout son talent à ne pas sombrer dans la dystopie ou le postapo bête et méchant. Il façonne un espoir qui laisse un goût râpeux dans la bouche. Un espoir tout de même, car cet effort d’imagination extraordinaire fait plier le destin et dessine une pragmatopie bancale et crédible, fait de realpolitik, d’actions violentes et non-violentes et de solutions tantôt ridicules, tantôt enthousiasmantes. Monumental.
Kim Stanley Robinson, Le Ministère du Futur, Bragelonne, 2023